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Allemagne : Vers une réforme de la règle du «frein à l’endettement»

Dans une lettre ouverte au chancelier Olaf Scholz, les fédérations patronales ont fait part de «leur grande inquiétude» sur l’évolution de l’Allemagne. C’est une initiative qui en dit long sur la gravité de la situation en Allemagne.

En fin de semaine dernière, le Conseil des sages, un groupe de cinq économistes chargés de conseiller le gouvernement, s’est prononcé, à l’unanimité, pour une réforme de la règle du «frein à l’endettement». «D’un point de vue historique, c’est une initiative remarquable car le Conseil a toujours été une organisation très conservatrice», souligne Armin Steinbach, économiste et ancien haut fonctionnaire allemand. Votée en 2009 et inscrite dans la constitution, la règle du «frein à l’endettement» limite depuis 2016 le déficit budgétaire à 0,35 % du produit intérieur brut. Elle a été suspendue entre 2020 et 2023 à la suite de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine et doit de nouveau s’appliquer cette année. Alors que l’Allemagne doit investir massivement pour mener à bien sa transition énergétique, moderniser ses infrastructures et relancer une économie en berne, les cinq économistes proposent d’assouplir le système, en corrélant la règle au niveau d’endettement du pays. En gros, si l’endettement tombe en dessous de 60 % du PIB, un déficit budgétaire de 1 % serait permis au lieu de 0,35 %. Si la dette évolue entre 60 % et 90 % du PIB, le plafond du déficit serait de 0,5 %. En cas de crise, les économistes proposent également d’instituer une période de transition, avant d’appliquer de nouveau la règle du frein. «Une réglementation transitoire donnerait une marge de manœuvre budgétaire supplémentaire pour faire face à la crise et éviterait que l’on discute constamment de la nécessité de déclarer des situations d’urgence», estime Ulrike Malmendier, membre du Conseil des sages. Ces propositions s’appuient sur des simulations du taux d’endettement de l’Etat, qui montrent que la dette publique diminue «de manière constante et significative», même si les possibilités d’emprunt sont utilisées chaque année et si des crises surviennent. Avec cette réforme, le ratio dette sur PIB de l’Etat tomberait à 59 % à l’horizon 2070 contre 64 % aujourd’hui. Sans réforme, on serait au-dessous des 30 %… «Notre analyse montre que le frein à l’endettement est plus rigide qu’il ne devrait l’être», juge Achim Truger, du Conseil des experts économiques. Discuté depuis plusieurs années dans les cercles académiques, ce système permettrait de dégager plus de 50 milliards d’euros d’endettement supplémentaires d’ici à 2027. «C’est une bonne proposition mais elle ne suffirait pas à financer les investissements nécessaires à la transition énergétique, prévient néanmoins Armin Steinbach. Il y a aussi le risque que les marges de manœuvre fiscales générées ne soient pas utilisées pour financer des investissements mais pour des dépenses courantes.» Les modifications proposées par les Sages nécessiteraient, en outre, une modification de la Constitution pour être adoptées. Et donc une majorité des deux-tiers au Bundestag. Un ratio impossible à imaginer dans un avenir proche, alors que le frein à l’endettement constitue un élément de différenciation clé pour la droite chrétienne-démocrate et les libéraux. Selon un sondage réalisé fin novembre pour la deuxième chaîne publique ZDF, à peine 35 % des Allemands sont favorables un assouplissement du frein à l’endettement, alors que 61 % y sont opposés. Sur ce sujet, les milieux économiques et académiques allemands évoluent beaucoup plus vite que le reste de la population. Un basculement symptomatique de la nervosité qui s’est emparée des dirigeants du pays ces derniers mois. Mardi dernier, dans une lettre ouverte au chancelier Olaf Scholz, la Chambre de commerce et d’industrie, la Fédération des associations patronales, la Fédération de l’industrie et celle de l’artisanat ont fait part de «leur grande inquiétude» sur l’évolution politique et économique de l’Allemagne. «La frustration et l’incertitude grandissent dans de nombreuses entreprises et les délocalisations de la production industrielle à l’étranger augmentent», ont alerté les signataires, qui exigent un « coup d’arrêt » aux charges sociales, une réforme de la fiscalité et des retraites ainsi que des prix de l’électricité compétitifs à l’international et des autorisations administratives plus simples. «Si les investissements ne sont pas réalisés dans notre pays et si le Mittelstand s’affaiblit, la transformation vers la neutralité climatique ne pourra pas réussir», écrivent les dirigeants. Des paroles qui remuent le couteau dans la plaie, alors que le pays est déjà en proie à la peur du déclassement.

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