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Dans un contexte de crises à répétition : Lagarde critique l’incapacité des économistes de la BCE à faire des prévisions fiables

La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, s’est récemment jointe au concert des critiques qui s’accumulent sur l’incapacité des économistes à faire des prévisions dans un contexte de crises à répétition.
« Ils ne vont pas au-delà de leur monde, sans doute car ils s’y sentent à l’aise », a-t-elle lancé au cours du Forum de Davos en janvier, au sujet de leur manque d’ouverture sur les autres disciplines scientifiques. Après la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine, qui ont bousculé les certitudes, les économistes, habitués des fichiers Excel et aux modèles très ancrés, ont besoin de s’adapter à un monde qui « a un peu changé », concède dans un euphémisme Peter Vanden Houte, chef économiste de la banque ING en Belgique. Après des années d’encéphalogramme plat, la pandémie et le conflit en Ukraine ont fait s’envoler les prix, déjouant toutes les prévisions des banques centrales. Cette inflation ne devait être que transitoire, affirmaient-elles au début, et ne pas nécessiter d’intervention de leur part. Christine Lagarde a reconnu à plusieurs reprises que les prévisions sur lesquelles se base la BCE dans sa politique n’avaient pas toujours été correctes et que des facteurs liés aux crises n’avaient pas été pris en compte dans ses modèles. Pour Peter Vanden Houte, « les modèles qu’on utilise actuellement sont moins fiables car il y a plein de facteurs qui sont difficiles à intégrer », à l’image d’un choc sur les chaînes d’approvisionnement, de pénuries de main d’œuvre, ou d’un climat géopolitique très tendu. Habitués à surveiller le futur sous le prisme du passé, les économistes n’ont pas pu quantifier les effets des ruptures de chaînes d’approvisionnement. Pour Maxime Darmet, économiste pour Allianz Trade, « ce ne sont pas les modèles économiques qui ont failli c’est le manque d’imagination des économistes ». « Ils se sont reposés sur leurs lauriers », avance-t-il, après trente ans de mondialisation « où tout se passait bien ». Finalement, les banques centrales ont relevé fortement leurs taux pour freiner une inflation au plus haut depuis quarante ans. L’économie ne pouvait que ralentir voire se contracter dans les pays développés, face à cette remontée brutale, affirmaient alors les économistes. A l’inverse, la croissance américaine s’est accélérée en 2023, et celle de la zone euro est restée positive sauf en Allemagne. Elle devrait rester dans le vert dans les pays développés cette année, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international. « Il y a une vraie énigme dans cette désinflation immaculée », observe auprès de l’AFP le professeur d’économie à Princeton Alan Blinder. La plupart des signaux étaient là: des niveaux de taux d’intérêt annonciateurs d’une récession aux Etats-Unis, le souvenir douloureux des années 1970 où seule une récession avait permis de sortir de l’hyperinflation, des indicateurs pessimistes… Là encore, les économistes ont été accusés d’avoir eu l’esprit trop étriqué. La faible « qualité des données » des économistes et la chute des « taux de réponse aux enquêtes » sont avancés par Peter Vanden Houte pour expliquer les erreurs. Des nouveautés économiques sont aussi venues mettre à mal ces modèles: les « quoi qu’il en coûte » pendant la pandémie et l’épargne accumulée ont préservé la consommation, surtout aux Etats-Unis. Les entreprises ont pour leur part « beaucoup mieux géré » la remontée des taux d’intérêt que par le passé, analyse Christophe Barraud, directeur général de Market Securities Monaco SAM. Comment changer cette image dégradée des économistes, « aux dernières places » des professions les plus dignes de confiance, avec une cote inférieure de moitié à celle des prévisionnistes météo, rappelait la prix Nobel Esther Duflo dans un récent entretien à l’AFP ? « Tout le monde sait que les modèles actuels ne sont plus satisfaisants pour faire de bonnes prévisions. Il faut raisonner de façon différente ou au moins élargir les modèles en intégrant d’autres composantes », pense Peter Vanden Houte. Le chemin se fait: la Banque d’Angleterre (BoE) a lancé une revue de ses modèles de prévisions et embauché en juillet l’ancien patron de la Banque centrale américaine, Ben Bernanke, après des critiques sur son incapacité à prévoir la flambée de l’inflation. Celle du Canada va remplacer ses anciens modèles par des méthodes davantage tournées vers le futur.

 

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